La Couverture Maladie Universelle (CMU) en Côte d’Ivoire vient de franchir un cap symbolique : plus de 23 millions de personnes sont désormais enrôlées, une avancée majeure pour l’accès aux soins dans le pays et pour la politique publique de protection sociale initiée ces dernières années. Ce chiffre, qui traduit à la fois un succès organisationnel et un défi financier, mérite d’être replacé dans son contexte pour mesurer ses implications pour les citoyens, l’État et le système de santé ivoirien.
Contexte et genèse de la CMU ivoirienne
La CMU est née d’un double constat : une large portion de la population reste exclue de la couverture sanitaire et les dépenses de santé imprévues continuent de plonger des ménages dans la pauvreté. Le gouvernement ivoirien, comme d’autres pays africains, a choisi une trajectoire progressive de couverture universelle, articulée autour d’un enrôlement massif, de la structuration d’un panier de prestations et de mécanismes de financement public et mutualiste. Depuis son déploiement national, la CMU a progressivement élargi son assise, ciblant d’abord les populations vulnérables puis intégrant progressivement des catégories plus larges de la population.
Ce que signifie « 23 millions d’enrôlés »
Le franchissement de la barre des 23 millions d’enrôlés signifie que 23 millions de personnes apparaissent dans les fichiers de la CMU, ce qui représente une part significative de la population totale du pays et marque une avancée contre l’exclusion sanitaire. Ce nombre reflète plusieurs réalités :
– Un travail intensif d’enrôlement et de sensibilisation sur le terrain (structures sanitaires, volontaires communautaires, campagnes médiatiques).
– La mise en place d’outils informatiques et de bases de données pour assurer la gestion des bénéficiaires et le suivi des prestations.
– Une volonté politique affirmée d’élargir la CMU, matérialisée par des campagnes d’enrôlement successives et des mesures d’incitation.
Les acquis immédiats pour les bénéficiaires
Pour les personnes enrôlées, la CMU offre des avantages tangibles : prise en charge partielle ou totale de certaines consultations, hospitalisations et médicaments, réduction des dépenses directes à la charge des ménages et, à terme, amélioration de l’accès aux soins primaires et spécialisés. Pour les catégories vulnérables (enfants, femmes enceintes, personnes âgées, pauvres des zones rurales et urbaines précaires), l’impact social et sanitaire est particulièrement important : diminution des abandons de soins pour raisons financières et meilleure prévention des complications évitables.
Les défis persistants derrière le chiffre
Malgré le succès de l’enrôlement, le passage à l’échelle pose plusieurs défis opérationnels et financiers.
1) Financement durable
L’augmentation du nombre d’enrôlés entraîne une pression budgétaire notable : les remboursements de prestations, la prise en charge des cotisations (lorsque l’État subventionne tout ou partie) et le fonctionnement des structures administratives coûtent cher. Là réside la question cruciale : comment financer durablement la CMU sans fragiliser les autres dépenses publiques ? Les solutions possibles incluent l’augmentation progressive des ressources publiques dédiées, la mobilisation de partenariats public-privé, et la recherche de mécanismes de solidarité interne (contributions modulées selon les revenus) et externe (aide et prêts concessionnels).
2) Qualité et disponibilité des soins
Couverture ne signifie pas automatiquement qualité : le système doit absorber la hausse de la demande sans dégrader la qualité des soins. Cela exige :
– Renforcement des ressources humaines (formation, recrutement, rétention du personnel soignant).
– Amélioration des infrastructures (centres de santé, hôpitaux, équipements médicaux).
– Meilleure régulation des filières pharmaceutiques pour garantir l’approvisionnement en médicaments essentiels.
3) Fraudes et gaspillage
L’élargissement rapide peut exposer le système aux risques de fraudes (déclarations fictives, surfacturation) et aux inefficiences. Il faut donc consolider les systèmes d’information, renforcer les contrôles et instaurer des procédures transparentes de suivi et de reddition des comptes.
4) Inclusion effective des secteurs informels
Une part importante des travailleurs vit dans l’informel, sans revenus réguliers ni cotisations formelles. Les mécanismes d’adhésion et de contribution doivent être adaptés (primes modulées, subventions ciblées, facilités de paiement) pour transformer l’enrôlement en adhésion réelle et sustainable.
Impacts attendus à moyen et long terme
Si la CMU est accompagnée des réformes structurelles nécessaires, les bénéfices attendus sont multiples : amélioration des indicateurs de santé (mortalité infantile, mortalité maternelle, contrôle des maladies infectieuses), réduction des inégalités territoriales d’accès aux soins, et renforcement du capital humain, élément clé pour la croissance inclusive. Une CMU bien financée et bien gérée peut aussi alléger les coûts socio-économiques liés aux arrêts de travail et à la perte de productivité pour maladie non traitée.
Le rôle des acteurs : État, régulateurs, assureurs et société civile\n\nLa réussite de la CMU repose sur la coordination entre plusieurs acteurs :
– L’État définit la politique, finance et assure la gouvernance ;
– Les structures publiques et privées de soins délivrent les prestations ;
– Les organismes d’assurance et gestionnaires du régime (publics ou mutualistes) organisent la collecte, le paiement et le contrôle ;
– La société civile et les partenaires techniques contribuent à la sensibilisation, à la veille citoyenne et au plaidoyer pour la qualité des services.\n\n
Politiques complémentaires à envisager
Pour consolider l’enrôlement et transformer le chiffre en gains sanitaires réels, plusieurs mesures complémentaires s’imposent :
– Déploiement d’un système intégré d’information sanitaire pour suivre les bénéficiaires et les prestations en temps réel.
– Renforcement de la gouvernance financière avec audits réguliers et transparence des dépenses CMU.
– Programmes ciblés pour fortifier la médecine de premier recours (soins de proximité, vaccinations, planification familiale).
– Stratégies d’incitation à l’adhésion volontaire pour le secteur formel et informel (réductions, services prioritaires, facilités administratives).
Perspectives et recommandations pour les décideurs
Le cap des 23 millions est une étape stratégique : il faut capitaliser sur cet acquis en priorisant la viabilité financière et la qualité des services. Parmi les recommandations pragmatiques :
– Établir un cadre pluriannuel de financement qui lie recettes affectées et objectifs de dépenses ;
– Évaluer régulièrement l’impact sanitaire et socio-économique de la CMU pour ajuster le package de prestations ;
– Renforcer les capacités locales (gestion administrative, audits, informatique) pour réduire les fuites et améliorer la performance ;
– Intensifier les campagnes d’éducation sanitaire pour orienter la demande vers la prévention et les soins de base ;
– Favoriser des partenariats avec le secteur privé pour accroître l’offre sans alourdir excessivement la dépense publique.
Ainsi, le franchissement de la barre des 23 millions d’enrôlés illustre le dynamisme des politiques de protection sociale en Côte d’Ivoire et ouvre une fenêtre d’opportunité pour transformer l’accès aux soins. Mais cet acquis devient réellement utile si l’on assure sa pérennité financière, la qualité des prestations et l’intégrité des dispositifs de gestion. Le défi pour les autorités et les partenaires est désormais de consolider cette base d’enrôlés afin qu’elle se traduise par de meilleurs résultats sanitaires et une protection sociale durable pour tous.
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